Depuis l’époque coloniale, le Burkina Faso constitue avec la Côte d’Ivoire, un couple migratoire caractérisé par une intense circulation entre les deux pays . Dès le début du siècle, le Burkina Faso est devenu une terre d’émigration pour ses ressortissants, qui partaient répondre aux besoins de main-d’œuvre des pays côtiers. D’abord contraints par la puissance coloniale, puis encadrés par les États nouvellement indépendants, les migrations transfrontalières sont rapidement devenues spontanées. Pendant longtemps, et jusqu’à présent, les nombreux travaux de recherche se sont particulièrement focalisés sur l’émigration des Burkinabè vers la Côte d’Ivoire.

Cependant, l’évolution du contexte d’accueil des migrants burkinabè en Côte d’Ivoire a modifié les conditions de la circulation entre les deux pays depuis la fin des années 1970. Sur le plan économique, la contraction du marché de l’emploi dans les villes et la libéralisation du marché des matières premières associée à l’épuisement des ressources foncières dans les campagnes ont rendu l’économie ivoirienne moins attractive. De plus, sur le plan politique, l’évolution de la législation ivoirienne témoigne de la dégradation des conditions d’accueil des Burkinabè (politique d’« ivoirisation » des cadres, instauration d’une carte de séjour, interdiction d’accès à la propriété foncière, etc.). Dans ce contexte, les retours de Burkinabè dans leur pays d’origine ont augmenté dès les années 1980. Pendant une partie de la décennie 2000-10, les flux se déplaçaient plus généralement de la Côte d’Ivoire vers le Burkina Faso. Ainsi, la migration de retour devient progressivement une problématique au chœur des débats politiques et institutionnels, puis un centre d’intérêt pour les chercheurs. Autrement dit, les nombreux travaux divers dessinent un parcours migratoire dans lequel ce sont seulement les Burkinabè qui font le mouvement de départ vers la Côte d’Ivoire et de retour au Burkina Faso.

Modèles de migration récents

Plus récemment, des études montrent que le Burkina Faso est resté un pays d’émigration nette, malgré d’importants flux d’immigrés et de migrants de retour. Certains immigrés provenant des pays voisins tels que la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Mali et le Sénégal transitent par le Burkina Faso pour tenter de rejoindre l’Europe par le nord, mais ils sont de plus en plus nombreux à y rester faisant du Burkina Faso un pays d’immigration. Mais la problématique de l’immigration au Burkina Faso reste très peu documentée dans le contexte des migrations internationales.

Particulièrement dans le couloir Burkina Faso - Côte d’Ivoire, la migration est jusqu’à lors analysée sous l’angle des Burkinabè qui circulent entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Il n’est donc pas perçu l’inverse du scénario où les populations ivoiriennes émigrent vers le Burkina Faso. Pourtant, selon les résultats d’une enquête exploratoire réalisée dans les villes de Koudougou, Bobo-Dioulasso et Gaoua, l’immigration burkinabè se reconfigure avec le constat d’une présence croissante d’Ivoiriens au Burkina Faso. On les retrouve dans les centres urbains, travaillant généralement dans le secteur informel, dans les lieux de jouissance et dans divers métiers de nuit comme de jour.

Catégories d’immigrés

Trois catégories d’immigrés ivoiriens se dégagent. La première catégorie concerne ceux qui sont en aventure et qui travaillent dans les métiers de rue tels que la restauration, la coiffure, les métiers de nuit, dans les bars, pour être serveurs ou serveuses, et comme des disk jockers (DJ). Cette catégorie semble la plus nombreuse, mais se fait très discrète.

Un de nos enquêtés révèle que: Il y a des immigrés ivoiriens à Bobo, mais ils se cachent parce qu’ils pensent que c’est un échec pour eux de se retrouver au Burkina Faso pour se chercher
(Bamory ; un responsable de mairie ; entretien du 23/07/2020 à Bobo-Dioulasso).

La deuxième catégorie est composée d’Ivoiriens présents au Burkina Faso pour des raisons d’étude. Il s’agit surtout d’études supérieures et autres formations spécifiques. La troisième catégorie est constituée d’entrepreneurs. Ces immigrés sont animés d’une grande capacité de prises de risque, capitale pour l’entreprenariat. Ainsi, ils se montrent très aptes à entreprendre dans le business, le e-commerce, le marketing de réseau, l’import-export, etc. Selon un de nos informateurs :

Ce qui attire les entrepreneurs ivoiriens au Burkina Faso pourrait être la facilité de création d’entreprise au Burkina Faso ; les opportunités d’affaires, car le Burkina Faso est considéré comme un marché encore vierge de beaucoup d’activités selon les Ivoiriens ; la facilité grâce au droit OHADA ; le principe de l’agrément unique ».
(Conseiller à la Chambre de commerce ; entretien du 23/07/2020 à Bobo-Dioulasso).

Le climat des affaires semble être alors un facteur pull qui attire les entrepreneurs ivoiriens au Burkina Faso.

À l’issue de cette exploration, notons que la dynamique des migrations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire se reconfigure et que des analyses approfondies sur les immigrés ivoiriens, notamment sur leurs motivations de départ, les lieux de destinations et leurs activités au Burkina Faso pourraient contribuer à comprendre davantage la complexité des migrations Burkina Faso - Côte d’Ivoire.