Les femmes en Haïti représentent plus de la moitié des migrants internes, soit 56% et s’élèvent à 46% parmi les émigrés. Particulièrement au Brésil, dans une enquête sur la migration des Haïtiens les femmes représentent 16% contre les hommes à 84%. Cette disparité entre la migration féminine et masculine vient probablement des vulnérabilités socio-économiques de ces dernières. Victimes d’une marginalisation pouvant les inciter à migrer, ignorer leurs besoins spécifiques dans cette nouvelle crise de COVID-19 ne ferait qu’accroître leur désir de migrer et ce, dans des conditions précaires et illégales. Dans ce contexte de pandémie, de confinement, et d’insécurité économique, comment les femmes haïtiennes vivent-elles cette situation ?

Vulnérabilités des femmes en Haïti

Les conditions sociales

En Haïti, les femmes représentent 51% de la population alors que sur le marché du travail, elles sont 20 fois plus susceptibles d’être au chômage que les hommes. Elles se cantonnent dans le secteur non structuré et ne représentent que 30% des emplois formels. Au niveau éducatif, 25% des femmes sont susceptibles de ne pas être scolarisées avec un taux d’analphabétisme de 42 %, tandis que les données disponibles sur l’enseignement supérieur révèlent que sur un taux de 6,5% d’Haïtiens ayant accédé à l’université, 1 sur 3 sont des femmes avec un faible taux de diplômées. Pour favoriser leur insertion dans les espaces de prise de décisions, la constitution amendée de 2012 a établi un quota de 30% de femmes aux postes électifs et nominatifs, pendant que sur le plan sanitaire, près de 78% des femmes rencontraient des obstacles d’accès aux soins de santé.

La violence

Identifiée comme un problème chronique, systémique et ancrée dans les pratiques culturelles, la violence envers les femmes en Haïti est amplifiée par les troubles socio-politiques et aux catastrophes naturelles. Ainsi de 2010 à 2011, à travers ses 21 centres d’accueil répartis dans quatre départements[1] du pays, la Solidarité Fanm Ayisyen[2] rapporte que 85% de leurs clientes sont victimes de violence familiale[3].

Aussi, les données sur les attitudes et acceptation du rôle du genre dans la violence perpétrée par le partenaire intime montrent que près d’une femme sur 2 et 2 hommes sur 5, croient qu’il est acceptable qu’un homme frappe sa femme. Ces mêmes données révèlent que 78,1 % des femmes âgées de 18 à 24 ans ont subi des abus sexuels alors que 55,9 % d’entre elles sont victimes de violence physique avant l’âge de 18 ans. Dans le rapport « Si m pa rele [4]» , les viols enregistrés à l’époque du coup d’état contre le Président haïtien Jean Bertrand Aristide sont présentés comme étant des viols motivés par des raisons politiques.

De leur côté, les catastrophes naturelles comme l’ouragan Matthew et le séisme du 12 Janvier 2010 rendant les ressources moins accessibles, ont aussi occasionné la hausse des violences contre les femmes en Haïti.

L’accès à la Justice

Les constats concernant l’accès des femmes à la justice montrent que la majorité ne dispose pas des moyens financiers nécessaires pour payer les cabinets d’avocats et manque d’informations sur leurs droits fondamentaux. Un rapport de l’ONU indique que « le taux faible de poursuites pour viol dans la région de Port-au-Prince est le résultat des lacunes de la police et du système judiciaire en général ». En effet, les fonctionnaires du système de justice (souvent des hommes), en contact direct avec les femmes victimes de violence sexuelle ont souvent des attitudes qui perpétuent la stigmatisation associée au viol et entravent l'accès des femmes victimes à la justice.

COVID-19 et situation des femmes haïtiennes

Depuis la COVID-19 plusieurs pays connaissent une sensible hausse des signalements de violence domestique. En Haïti, la vulnérabilité des femmes et des filles en temps normal représente déjà un défi pour la société. Par exemple, à Ouanaminthe, ville frontalière au nord-est de la République dominicaine, une institution œuvrant dans la prise en charge des violences faites aux femmes et aux filles déclare qu’avant la COVID-19, elle dénombrait environ cinq cas sur un mois. Cependant, entre le 19 mars et le 22 avril, elle a répertorié le viol d’un mineur et 12 cas de violences domestiques.

Du 20 mars au 03 juin 2020, le collectif défenseurs plus [5] affirme avoir enregistré 82 cas de violence contre les femmes et les filles dans trois départements différents. En outre, dans le département du Nord-Est, jusqu’à 5 cas de violences (sexuelle et physique) sont enregistrés par jour au Bureau départemental du Ministère à la Condition Féminine.

En somme, bien que la COVID-19 soit différente des précédentes situations d’urgence d’Haïti, les femmes et les filles sont vulnérables dans toutes les circonstances de la vie sociale et pendant toutes les phases de crises ou de catastrophes naturelles. En situation de migration, par exemple, quand les droits des femmes haïtiennes ne sont pas respectés, il est plus difficile pour les autorités haïtiennes de les défendre car depuis leur territoire, leurs droits sont constamment violés.

Toutefois, se basant sur des données probantes relatives aux violences faites aux femmes durant la COVID-19, l’Etat haïtien devrait prendre en exemple les crises précédentes, investiguer auprès du groupe vulnérable et des spécialistes afin d’identifier et de définir les priorités devant permettre aux femmes et aux filles de dépasser leur vulnérabilité chronique et d’aborder au mieux la crise liée à la COVID-19.


[1] Grand-Anse, le Sud-Est, l’Ouest et l’Artibonite

[2] Une ONG œuvrant dans le domaine des droits de la femme.

[3] Cette violence comprend « des insultes, des menaces de mort, le chantage, la manipulation, l'humiliation, le harcèlement, l'isolement, le viol, la séquestration, le meurtre, et l'irresponsabilité paternelle »

[4] Commission Nationale de Vérité et de Justice. Sim pa rele. Port-au-Prince, HT

[5] Organisation œuvrant dans le domaine des droits humains.